Lequel du chêne ou du bambou est le plus résilient ?
Deuxième article de notre série sur la résilience. En cette période de crise, le mot résilience émerge dans les infos et les réseaux sociaux. Mais au fond, c’est quoi la résilience ? Détour d’horizon par une histoire sous forme de conte.
Il était une fois …
Beaucoup a déjà été écrit sur la résilience, par de multiples prismes, et notamment la résilience individuelle ; la résilience sociétale ; la résilience des organisations ; la résilience du vivant . Comment ne pas répéter ce que vous avez sûrement déjà vu ailleurs ?
Peut-être êtes-vous déjà lassé par ce nouveau mot à la mode. L’usure des mots est un des enjeux majeurs de notre temps : comment faire sens et communiquer, nous relier, si tous les mots sont usés et les lecteurs … désabusés ? Comment puis-je capter votre attention dans le temps que vous n’aurez pas à m’accorder ?
Je peux vous raconter une histoire.
Les deux sages, le chêne et le bambou
Un jour, deux sages, l’un venu d’Orient, l’autre d’Occident, s’étaient donnés rendez-vous à mi-chemin de leurs villages respectifs, afin d’échanger leurs idées sur la résilience. Ils faisaient ce voyage deux à trois fois par an avec gourmandise, car ils savaient, en tombant dans les bras l’un de l’autre avec un sourire plein de malice, qu’échanger ses idées, c’est en obtenir de nouvelles sans s’appauvrir des siennes.
Si les deux sages étaient en joie de se retrouver, les temps étaient graves : la terre était dévastée par la maladie. Le long des chemins qu’ils avaient empruntés, partout la dévastation était visible, jusqu’aux arbres qui semblaient pleurer. C’est d’ailleurs à leur vue, en imaginant comment revivre après cela, que la question toute simple qui animerait leurs retrouvailles avait été énoncée : lequel du chêne ou du bambou est le plus résilient ? Voici en des termes que le passage du Temps a peut-être polis, le récit de leurs échanges.
– Le chêne, dit le sage venu d’Occident, est le plus résilient car la force de son bois, l’ossature de ses branches et la vigueur de son tronc lui donnent une résistance à toute épreuve.
– C’est le bambou, répondit le sage venu d’Orient. Car, lorsque la tempête souffle, le bambou plie, mais ne rompt pas. Lorsque le vent cesse, il se redresse. Il peut ainsi, par sa souplesse, s’adapter aux évènements. Le chêne, lui, ne le peut pas.
– Tu parles du vent, mais si le chêne pousse à l’abri d’une vallée profonde, il ne craint pas les tempêtes, n’est-ce pas ?
– C’est juste. Si le chêne était posé au bord d’une falaise venteuse où ses racines, empêchées par la pierre dure, ne pouvaient s’enfoncer profondément, il aurait été très certainement plus exposé, et nous l’aurions jugé moins résilient.
Le sage venu d’Orient se tut, puis après une pause ajouta :
– Un chêne n’en vaut pas un autre, de même pour le bambou. Il faut donc considérer nos arbres dans le lieu où ils vivent, car les liens qu’ils y tissent ou non enrichissent ou appauvrissent leur résilience.
– Et si cet arbre n’est pas seul, mais au milieu d’une forêt de ses congénères ?
– C’est un peu la même idée. Ce sont les liens qu’ils tissent avec les autres êtres vivants de son territoire qui augmentent sa résilience. Mais ton regard est horizontal. L’arbre est l’image de la verticalité dans mon pays. Que t’inspire cette vision ?
– Les racines et le ciel.
– Les racines d’abord. Il s’agit de la force de Vie. De quel caractère l’arbre peut-il se prévaloir pour se prémunir des maladies, des tempêtes, du vieillissement ? La souplesse ne vaut rien sans ancrage, la résistance non plus. Où puiser le rebond si l’arbre se déracine ?
– Les racines, et maintenant le ciel.
– Le bambou comme le chêne ne se posent pas de question. Ils sont au monde pour devenir ce qu’ils sont en poussant vers le ciel. Ils ont un but simple qui les emplit d’une certitude inébranlable. C’est une force de résilience inestimable de savoir où l’on va alors que la Vie vous entoure d’incertitudes à chaque lever du soleil.
– Aussi résistant soit le chêne, aussi souple soit le bambou, les tempêtes et les maladies surviennent, comme celle que nous traversons en ce moment. Tous ne résisteront pas. Les autres seront marqués par l’épreuve. Les chênes que j’observe autour de chez moi d’abord cicatrisent. Puis ils se reposent, peut-être un an ou deux, ou plus, avant de repartir. Des branches en moins, le feuillage troué, la sève réorientée là où la Vie aura le plus de chances d’avancer, ils repousseront à nouveau.
– Le bambou a une autre stratégie. Sa résilience repose dans son inlassable repousse, ce don pour la renaissance. Il tisse un formidable réseau racinaire qui peut soulever la terre et les constructions de l’homme. Il fait sans cesse de nouveaux rejetons. Ainsi, la maladie ou les forces de la nature peuvent l’abattre, il s’est déjà reproduit. Il appartient à un pied, à un groupe. C’est le groupe qui soutient, traverse l’épreuve et grandit à nouveau.
A un moment de cette discussion passionnée où les idées s’enflammaient en faisant briller les yeux de nos deux sages, l’un dit à l’autre :
– J’ai l’impression que nous ne pourrons jamais répondre à notre question initiale. Comment pourrions-nous savoir qui est le vainqueur ? Avons-nous un moyen de mesurer leur résilience ?
C’était le sage d’Occident qui avait parlé. Son ami proposa :
– Et si nous regardions lequel vit le plus longtemps ? La durée n’est-elle pas la mesure de la résilience ?
– Si c’est le cas, alors le chêne est le plus résilient. A-t-on jamais vu un bambou vivre aussi longtemps ?
– Mais que lui importe de vivre aussi longtemps ? Peut-on lui reprocher un manque de résilience, uniquement parce que sa vie serait plus courte que celle du chêne ?
Les deux sages sentaient qu’ils approchaient du terme et qu’une conclusion demandait à germer au terreau de leurs mots. Le silence se fit, puis l’un et l’autre prirent la parole :
– Les deux arbres ont chacun leur tactique. L’un a pour lui plus de résistance, l’autre plus de souplesse. L’un grandira plus haut, l’autre moins. L’un vivra plus vieux, l’autre moins. L’un sera plus solitaire, l’autre sera nombre.
– Mais si le chêne avait voulu se faire souple, en tentant de plier, il aurait rompu. Si le bambou avait décidé de ne plus plier, il aurait rompu également. L’un et l’autre n’auraient pas fait usage de leurs forces et auraient décuplé leurs vulnérabilités. Désalignés, loin de leur cohérence interne, ils se seraient chacun effondrés, à leur façon.
– Comme à leur façon, dans un juste équilibre, chacun est résilient.
Avant de se séparer, satisfaits et enrichis des idées de l’autre, ils échangèrent un dernier clin d’oeil malicieux et sage à la fois :
– Peut-on être fort et souple à la fois, demanda l’un ?
– Le faudrait-il, renchérit l’autre ?
Sur le chemin du retour, l’un vers le Ponant, l’autre vers le Levant, ils regardaient la dévastation de leur Temps d’un autre oeil. Désormais emplis d’une vision complète de ce qu’est la résilience, chacun écrirait dans sa langue ce qu’ils avaient appris ensemble.
C’est dans un de ces livres que j’ai pu extraire ces quelques lignes. J’espère avoir ainsi capturé l’esprit de ce qu’est la résilience, et l’avoir partagé avec vous. À votre santé !
Magnifique comparaison entre Orient et Occident, qui n’est pas sans rappeler la fable du chêne et du roseau de notre incomparable Jean de la Fontaine. Ou comment devenir plus fort en unissant nos différences afin que jamais l’ennui ne naisse de l’uniformité.
Merci pour votre compliment qui me fait très plaisir. Ravi que vous ayez capté les subtilités et les influences du texte.