De crainte d’être critiqué : comment dire simplement les choses qui comptent ?
Histoires de coopérer : une série d’articles sur la coopération en entreprise
De crainte d’être critiqué : Où l’on voit comment s’y prendre pour dire simplement les choses qui comptent
Pourquoi a-t-on dans certains cas l’impression de perdre son temps en réunion ? Pourquoi les échanges y sont-ils parfois pauvres ? Pourquoi des temps de rencontre se transforment-ils progressivement en routine ? Cette histoire montre comment une équipe de direction prend conscience de ce qui affaiblit ses échanges et décide de reprendre en main sa réunion.
La situation
Tous les lundis matins, le comité opérationnel (CO) de cette entreprise réunit 14 cadres. Mais cette réunion qui existe depuis des années ne satisfait personne : réduite à un point d’information entre services, elle a perdu sa dimension de pilotage de l’amélioration continue et les prises de décision y sont peu fréquentes et rarement suivies d’effets. Ce constat étant partagé, un groupe de travail est mis en place pour améliorer le fonctionnement du CO – groupe de travail auquel nous participons dans le cadre de notre étude-action.
Ce jour-là, un premier tour de table est effectué pour sélectionner les sujets à traiter. Lorsqu’est mentionnée la nécessité de présenter le taux de service et les indicateurs financiers, une réaction fuse : « Ça ne sert à rien. » « Pourquoi ? » interroge le premier intervenant. Réponse : « Ça fait des années qu’on regarde ces indicateurs et ça n’a jamais rien enclenché ! » Une autre question est alors posée : « Pourquoi la présentation des indicateurs n’enclenche-t-elle pas l’action ? » Quelqu’un commente : « Très bonne question ! ». Mais le tour de table continue.
Le DG prend ensuite la parole. Il a besoin d’illustrer son propos par un exemple et choisit la consommation d’eau… Toutes les têtes se tournent alors vers le responsable QSE, manifestement tenu pour responsable de ce sujet. Ce mouvement est tellement fort que le DG se sent obligé d’ajouter : « D’habitude, je parle de la productivité mais je ne voulais pas que ça tombe encore une fois sur Alain (le responsable de fabrication), alors aujourd’hui j’ai pris l’exemple de la consommation d’eau ! »
Avec mon regard extérieur, je perçois que le responsable QSE n’est pas considéré ici comme le responsable de la consommation d’eau mais comme le coupable de la dégradation de cet indicateur. Je partage alors simplement ma perception avec le groupe : le choix d’un sujet à traiter en CO ne déclenche pas la curiosité ou l’attention, il déclenche la crainte que « ça » vous tombe dessus. Il semble y avoir confusion entre responsabilité et culpabilité. Dès que ce constat est posé, la parole commence à se libérer : « c’est notre plus grand problème », « ça nous empoisonne », « si on ne règle pas ça, on n’y arrivera pas ».
Le problème essentiel qui perturbe la réunion du CO touche en fait toute l’entreprise. Il est lié à un mode de fonctionnement hiérarchique basé sur le contrôle qui dévalorise la prise d’initiative et interdit l’erreur. A la surprise du directeur général, ce mode de fonctionnement modèle les relations dans l’entreprise. Prendre une initiative, c’est ainsi prendre le risque d’être dénigré, pointé du doigt ou critiqué. En parler soulage tout le monde : on a mis le doigt sur un problème que personne n’osait formuler et qui empêchait toute action.
Les suites
A la suite de cette réunion, des règles de bon fonctionnement du CO sont définies et partagées autour de cinq valeurs : bienveillance, respect, exigence, transparence et ouverture d’esprit. Il faudra du temps pour que la confiance s’installe à nouveau et libère la parole mais il s’est déjà passé quelque chose d’important. Dès la semaine suivante, les règles sont appliquées. Habituellement critique et participant peu aux échanges, un membre du CO prend la parole : « Il y a effectivement un problème dans cette réunion et j’ai ma part de responsabilité. » S’entendre sur des règles et les énoncer – sans contraindre ni interdire – semble ainsi autoriser un nouveau type de relations dans la réunion.
Décryptage
Renvoyer au groupe sa perception, avec bienveillance
- C’est grâce à une réaction apparemment anodine (le moment où toutes les têtes se tournent vers le responsable QSE – une réaction un peu trop appuyée et trop unanime pour être banale) qu’un mode de fonctionnement essentiel a pu être ici détecté : la confusion entre responsabilité et culpabilité.
- Une fois ce signal faible détecté, il a fallu le verbaliser et le partager. Pour qu’une telle observation puisse être entendue, elle devait être bienveillante et offrir simplement un effet-miroir.
- La vérité réside parfois dans les détails. Etre attentif à un non-dit, une posture en retrait ou encore à des avis qui ne « sonnent » pas vrai, partager de telles observations de manière bienveillante contribue à créer un espace de liberté où peut émerger une parole.
Distinguer responsabilité et culpabilité
Etre responsable d’une fonction, d’un projet ou d’un service implique-t-il d’être tenu pour seul « coupable » des mauvais résultats qui peuvent y être liés ? Facteur de non-coopération, la confusion entre responsabilité et culpabilité crée de la stigmatisation au lieu de favoriser la résolution des problèmes. Il ne peut y avoir coopération dans de tels contextes car l’absence de droit à l’erreur gèle la prise d’initiative et l’information. Il en résulte un appauvrissement des échanges : on n’ose plus parler que de choses banales qui ne dérangent pas.
Une telle absence de coopération a un double effet :
- L’amélioration continue se grippe, les problèmes ne sont pas réglés ou leur résolution nécessite de déployer beaucoup d’énergie, de contrôle, d’injonctions. La performance s’en ressent.
- La qualité de vie au travail est également touchée : tensions liées aux non-dits, à la peur d’être « le prochain » à prendre les coups, à l’énergie qu’il faut déployer pour résoudre les problèmes… Répétés pendant plusieurs années, de tels non-dits créent du désengagement et du mal-être.
Et vous ?
- Etes-vous à l’écoute des signaux faibles, à ce qui est dit et à ce qui ne l’est pas, aux attitudes ?
- Avez-vous connu des situations dans lesquelles les discussions visaient à rechercher un coupable plutôt qu’à comprendre et résoudre un problème ?
- Animez-vous vos réunions, de manière à libérer des espaces d’expression vraie, permettre l’erreur et le débat ?
- Dans vos réunions, quelles règles de fonctionnement avez-vous établies pour installer la confiance, permettre la liberté de parole et la coopération ?
Pour (re)découvrir les autres articles de la série « Histoires de coopérer » :
- [HISTOIRE DE COOPÉRER #6] : La place de l’inattendu : poser des questions sans préjuger des réponses
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- [HISTOIRE DE COOPÉRER #2] : Entre les mailles : Comment traiter et hiérarchiser les problèmes ?
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