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Les nouvelles organisations de Frédéric Laloux

Frédéric Laloux a quelque chose de sympathique dans sa dégaine trop grande pour lui : les mains enfoncées tout au fond des poches de son jean, les épaules remontant et encadrant un sourire  chaleureux, il n’a pas l’air du consultant de grands groupes qu’il était, on sent qu’il a pris du recul, et un virage salutaire.

Il n’est pas à l’aise dans le rôle de conférencier, c’est peut-être pour ça que ce 13 janvier 2016 au Palais des Congrès de la Villette, il annonce que ce sera sa dernière autour du livre qu’il a écrit, et déjà traduit en 15 langues : «Reinventing organizations». Ce livre est un phénomène d’édition : un sujet aussi ardu n’intéresse généralement que des spécialistes et ne se diffusent que rarement à une telle vitesse. Avec les 900 personnes présentes ce 13 janvier, c’est la preuve que le sujet interpelle. Qu’avait donc Frédéric Laloux à nous dire ?

Une approche évolutionniste des systèmes

L’idée de Frédéric Laloux est de regarder depuis une perspective historique l’évolution des sociétés humaines, et d’analyser les percées fondamentales des systèmes qui les organisent. Ils distinguent ainsi 4 niveaux correspondant à 4 périodes sur le temps long de l’histoire de l’Homme  :

  • La période tribale (rouge), à laquelle il associe la métaphore de la meute de loups car c’est une période de chaos, du chacun pour soi, sans presque aucune organisation
  • La période agraire (ambre), avec pour métaphoe l’armée ou l’église qui voit émerger l’organisation hiérarchique et l’ordre soumis par des règles.
  • La période scientifique-industriel (orange), qu’il compare à une machine, une mécanique bien huilée, centrée sur la performance et le progrès.
  • La période de l’information (verte), à laquelle il associe la famille et qui voit la communauté, l’importance du collaboratif et l’immatériel prendre le dessus.

Frédéric Laloux fait l’hypothèse que nous serions en train de vivre une cinquième période, au delà de la période de l’information. L’intérêt de sa démarche est de ne pas être théorique mais empirique. Il est allé observé de nombreuses entreprises qui fonctionnent différemment, qui ont l’air de s’être parfaitement adaptées à notre ère de changements rapides et profonds, et qui ont des résultats. Ces entreprises sont entre autres : Heiligenfeld, FAVI, Sounds True, RHD, Patagonia, Buurtzorg, ESBZ, AES, Morning Star, BSO Origin, ou Sun Hydraulics. Ces entreprises, pourtant de secteurs et de tailles toutes différentes, originaires de plusieus continents, semblent avoir adopté des principes similaires pour se créer ou se transformer.

L’histoire de Buurtzorg

L’histoire de Buurtzorg permet de bien illustrer l’ampleur des transformations dont il est question ici. Buurtzorg est actif dans l’aide médicale à domicile aux Pays-Bas.

Ce secteur avait vu ses infirmières libérales être regroupées sous la pression de l’optimisation des coûts dans des organisations centralisatrices. Les objectifs étaient simples : mutualiser pour flexilbiliser et optimiser le temps d’occupation des infirmières, quitte à ce que le patient ne voit plus deux fois la même personne s’occuper de lui, Puis vint la spécialisation, pour donner les tâches les plus simples à de jeunes infirmières moins chères et en gardant le strict nécessaire d’infirmières expérimentées. L’étape suivante vers la performance fut la standardisation, où les soins deviennent des produits et les actes des temps minutés à ne pas dépasser. Les outils de gestion permirent l’optimisation des trajets et la régulation automatisée des plannings des infirmières. Enfin, le tracking des données de production des infirmières et des patients autorisèrent l’analyse comparée des pratiques pour un alignement sur les temps et les coûts les plus optimums. Accessoirement, des superstructures bureaucratiques de gestion du système , coûteuses et déconnectées du terrain, s’étaient mises en place dans les sociétés du secteur.

Malgé tout, cela avait effectivement répondu à l’objectif de performance économique. Mais en  créant une gigantesque zone d’ombre : les clients détestaient le service qu’ils recevaient et les infirmières détestaient le travail qu’elles faisaient.

Jos Blok, ex-infirmier de quartier a dit stop et a créé burtzorg en 2007 avec 4 personnes et une vision : aider les patients. Leur donner du temps, créer du lien avec l’infirmier, avec le voisinage. Les cliens adorent qu’on s’occupe à nouveau d’eux, et les infirmières aussi. Ça se sait très vite, et aujourd’hui , sans l’aide d’aucun marketing, Ils sont presque 10 000 et ont pris les 2/3 du marché.

Comment un tel modèle peut-il être rentable ? La vocation, le sens qu’ils se sont choisis, a déclenché un engagement sans précédent des soignants et des patients. A tel point que les patients redeviennent autonomes beaucoup plus vite et que seuls 40% des prescriptions des médecins sont utilisées. Le gain est absolument énorme pour l’Etat, pour la collectivité, permettant de rémunérer Buurztorg et son modèle révolutionnaire d’organisation. Quel est ce modèle ?

Les 3 grandes percées pour réinventer les organisations

1- L’auto-gouvernance (et non l’auto-gestion) : une organisation sans pyramide, où personne n’est le chef de personne, centrée sur l’autorité distribuée et l’intelligence distribuée, calquée sur le monde du vivant. Point important : il n’y a plus de hiérarchie de pouvoir, il y a des hiérarchies naturelles qui émergent, fondées sur l’expérience, l’expertise, la passion, l’énergie où chacun met son talent au service de l’organisation.

2- La plénitude (wholeness), ou « fonctionnement intégral » : une organisation qui permette d’être soi-même en entier, sans devoir porter un masque du boulot différent du masque du privé. Pouvoir exprimer ses aspirations profondes et pas seulement l’égo, le rationnel et l’intuitif, l’émotionnel et le spirituel. En fait, une organisation qui laisserait entrer la vie pour faire en sorte que chacun se sentent tellement bien qu’on ose être soi-même.

3- La raison d’être évolutive (evolutionary purpose) : une organisation où la raison d’être devient évolutive car elle est vivante : passer d’un mode prédire & contrôle à un mode sentir et répondre. Ces organisations n’ont par conséquent aucune stratégie, elles ne font plus de budget, ne fixent plus d’objectifs. « Aller là où l’organisation a spontanément envie d’aller », poussée par le vent de ce que veulent les clients et les salariés, validée par les seuls résultats de ce qui marche ou pas dans ce qu’on aura tenté. C’est la réalité qui décide, sur un mode organique.

Et maintenant ?

Comment se transformer pour aller vers ce modèle ? Frédéric Laloux conclut par un : «On est encore en train de chercher …». Chez F-Cube, c’est exactement ce à quoi nous travaillons, et nous avons notre petite idée…

Alors, ça vous dit de venir inventer ensemble cette entreprise de demain ?