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Les ambulanciers

Témoignage : où en est le monde du travail aujourd’hui ? Incursion personnelle dans le secteur de la santé

Je viens de faire un trajet de presque 10 heures en ambulance qui me rapatriait, allongé sur un brancard, depuis le Morbihan où j’étais resté coincé du dos au cours d’une mission, et l’Isère où j’habite. Gwen et Hervé mes deux ambulanciers se sont relayés au volant et auprès de moi, on a eu le temps de papoter.

Naturellement, la discussion est venue sur leur travail, sur le quotidien du métier d’ambulancier. J’ai voulu témoigner ici des pratiques de ce secteur d’activité, parce qu’elles font écho aux situations que F-Cube rencontre partout ailleurs et qui vont à l’encontre du bien-être au travail, de l’engagement et au final des intérêts de l’entreprise qui pourtant les alimentent.

Des nuits payées à 75%

Une situation historique a ancré dans la convention collective qui régit le travail des ambulanciers le fait que les heures réelles effectuées ne sont jamais payées à 100%. Pourquoi ? Parce que dans les cas de dépose d’un patient pour un examen, il y a un temps d’attente sur place avant de le ramener à son domicile. En journée, les ambulanciers sont rémunérés sur la base de 90% du temps effectué. La profession se structurant, les groupes devenant de plus en plus importants et nécessaires pour répondre aux appels d’offres des hôpitaux, des assureurs et autres grands donneurs d’ordre, l’impératif de rentabilité augmente. Les temps d’attente deviennent des temps improductifs, on installe donc des systèmes de géolocalisation des véhicules couplés à un système de régulation centralisé qui permettent d’optimiser les prises en charge. Ainsi, une ambulance dépose un patient, repart pour une autre mission, tandis qu’un autre équipage viendra rechercher plus tard le premier patient, quitte à ce qu’il attende. Et c’est ce qu’il se passe en réalité dans la plupart des cas, car la priorité étant la rentabilité et non plus la qualité du service, le nombre de courses est poussé au maximum sans ajustement possible aux aléas, pourtant nombreux quand on associe risques de santé et de circulation routière.

La situation s’avère encore plus incroyable pour les heures de nuit. Historiquement toujours, la nuit était considérée comme une astreinte. Certains ambulanciers devaient être mobilisables pour une urgence et quelques sorties épisodiques. La rémunération correspondant à cette situation se faisait sur la base de 75% des heures réelles. Mais, l’optimisation économique cherche également à rentabiliser ce temps-là et les nuits sont désormais tout autant occupées que les journées. Résultat : sur une semaine de 4 nuits de travail, l’ambulancier en donne une à son patron qui, lui, facture ses heures de nuit au double du tarif journée. Vous pouvez imaginer proportionnellement le niveau de motivation des ambulanciers à faire les nuits…

Sur la reconnaissance et le salaire

Le marché du transport en ambulance est porteur et profitable. D’autant plus grâce à ce type d’optimisation, ou encore à celui-ci : les véhicules ne sont pas la propriété de la société mais de la holding. Ainsi, la société paie un leasing dont le montant est fixé part la holding. Le niveau de charges ainsi opacifié et maîtrisé permet de faire remonter les bénéfices à la holding, évitant ainsi la distribution de participation. L’année dernière, les salariés ont touché 30€ de participation par personne.

Sur les conditions de travail et la formation

Le rythme de travail s’est bien entendu accéléré, sans compensation. Gwen et Hervé font plus que leur âge et ils se posent ouvertement la question de l’après : comment durer dans ce métier physique et pénible lorsqu’une épaule ou le dos donnent déjà des signes de faiblesse ? Il faut sortir, entrer, abaisser et relever le brancard, aider les personnes, faire de longues heures de route. Les douleurs chroniques des avant-bras se font déjà sentir, la maladie des routiers. Aucun de mes deux ambulanciers n’envisage de finir sa carrière dans ce métier, mais après 50 ans, quoi faire ?

Ce métier n’étant jamais une vocation, il a également beaucoup de mal à fidéliser, le turn-over est important et la formation des nouveaux prend du temps. Hervé est référent parce qu’il aime la diversité, il aime former les nouveaux, même si c’est épuisant et stressant car à la moindre situation difficile, il sait qu’il sera seul pour faire face. Or, dans ce métier qui s’apprend essentiellement par friction, aucun temps n’est accordé pour la formation. La pression supplémentaire qui est mise sur les ambulanciers pour former leurs collègues les rend frileux à accepter, dégrade la qualité de la formation, fait augmenter les risques au patient et en fin de compte accentue le turn-over.

Sur le rôle des chefs

Un nouveau chef décide d’optimiser les stocks du garage. La société gère 160 véhicules, Hervé a une formation de mécanicien auto et s’occupe avec ses collègues de faire les vidanges des véhicules. Ils ont pour cela un stock de filtres à huile. Le nouveau chef a décidé que le stock coûtait de l’argent et que désormais il faudrait acheter les filtres un par un. Les ambulanciers ont obtempéré et se sont mis à faire des allers et retours incessants à chaque vidange. Affolé, le cadre responsable leur demande la raison de tous ses déplacements et ils leur expliquent… Finalement, le cadre revient sur sa décision et autorise à nouveau le stockage des filtres. Voilà ce qui arrive lorsque les décisions sont prises sans connaissance de la réalité du terrain et sans concertation, dans la posture de certitude hiérarchique de celui qui impose ses idées. Cette situation est malheureusement extrêmement banale.

Sur l’autonomie et la responsabilisation

Quand on confie à des personnes le soin de transporter des blessés et des malades, on pourrait penser qu’on les croie capables de gérer eux-mêmes au mieux leur journée de travail. Pourtant, Gwen et Hervé me raconteront les anecdotes suivantes :
  • Le nouveau chef qui arrive et qui décide de mettre en place un contrôle des frais supplémentaire : alors que tout fonctionnait parfaitement depuis des années, il faut maintenant signer une décharge pour récupérer la carte bancaire de la société.

  • La régulation qui appelle et insiste pour connaître l’avancement de la mission pendant une réanimation cardiaque, le collègue qui balance la radio, excédé de ne pas pouvoir faire son boulot.
  • Le lieu où ils dormiront le soir est choisi à distance par la régulation, même si Gwen et Hervé ont parfaitement connaissance des forfaits auxquels ils ont droit.
  • Le calcul des heures de conduite et de repos à la minute près. La hiérarchie par crainte des abus et son souci de les faire rentrer le plus vite possible entame une négociation pour les faire repartir dans l’autre sens le soir-même et gagner une heure le lendemain. Gwen et Hervé grâce à l’atteinte du quota maximal des 12 heures obtiennent de dormir sur place. Il savent sinon que s’ils rentraient trop tôt le lendemain, ils pourraient bien se voir confier une dernière mission en fin de journée.

Alors, quoi faire ?

Je ne ressens pourtant aucune fatalité, aucune résignation. Même si la tentation individuelle est forte de se mettre en retrait, de laisser faire les décisions inadaptées et de voir se réduire sa marge d’autonomie, c’est sur de telles longues distances que mes deux ambulanciers retrouvent le sourire : pas de pression de l’enchaînement des prises en charge dans la journée, moins d’appels de la régulation. Et la possibilité de discuter avec les patients, de recréer du lien, de pouvoir choisir son partenaire pour faire équipe et passer une bonne journée de travail. Tout simplement.

Merci à vous, Gwen et Hervé, avec toute ma gratitude.

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  1. Publier le commentaire

    Ignem says:

    Et encore on est loin du compte malgré le réalisme du témoignage

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